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1982
Au journal télé, il est question d'un truc tout nouveau promu par Europe 1... Le
hip-hop, le graffiti, le rap.
Le présentateur ose : "c'est peut-être la musique du futur".
Et à propos de futur, il mentionne le nom d'un graffiteur : Futura 2000.
La modernité de ce nom m'éblouit (j'ai treize ans hein) et je ne l'oublie pas.
1983
Je collectionne tout ce qui a un rapport avec le hip-hop, je trouve quelques disques,
comme "the message" de Grandmaster Flash ou "Rock it" par
Herbie Hancock. "Odeon" par B-side et Bernard Fowler. "Crazy cuts" par
GrandMixer DST, West Street Mob avec "break dance, electric boogie"... On trouve
des allusions au rap et au breakdance dans le film "Flashdance", dans les
chorégraphies de Michaël Jackson, chez "Chagrin d'Amour", chez Blondie.
1984
C'est le début de H.I.P. H.O.P., l'émission de Sidney sur la première chaîne.
Impossible à rater le dimanche après-midi. Mythiques, les Paris City Breakers, des
invités venus de partout (c'est la première émission hip hop au monde) dont, toujours,
Futura 2000.
J'entends parler d'Afrika Bambaataa et de la Zulu Nation.
Après la mort de son meilleur ami dans une guerre de gangs, Bambaata décide de devenir
Dee-jay et de ramener la paix dans les boroughs new-yorkais et ailleurs, chasser la drogue
et refuser le racisme. Sa méthode : la fête, la danse, la musique et le graffiti.
En France à cette époque il n'existe pas de "gangs" à part les skinheads que,
depuis ma banlieue paumée, je n'ai jamais vus. Mais je souscris au message, moi aussi je
veux faire partie de la "nation zulu" de Bambaataa.
Mes parents me laissent faire mes premiers tags dans la cave et dans le garage. Mon
frère, l'athlète de la famille, devient vite un breakdancer correct.
Je fonde mon posse, le Twilight Zone Crew (que bien plus tard le Journal du dimanche
traduira "Les zonards du crépuscule"...) en hommage à la série "The
Twilight Zone" (en français, "la quatrième dimension").
Premiers membres : Spray (moi-même), Won, 34 Skidoo, Risk (mon petit frère, il a 9 ans
à l'époque) et Shaz (Risk et Shaz fondent par ailleurs leur propre posse, les TAK).
A la fin de l'année scolaire, on part tous voir "Beat Streat" au cinéma.
C'est le déclic final. A peine rentrés de la séance, on prend nos bombes et on part
faire un cadeau d'adieu à notre collège... Un gros graff' qui dit "Hip Hop, don't
stop" (directement inspiré du film). Et un autre : "Zulu" :
Et là on entend une voix qui hurle "vous voulez que j'vous aide ?".
Un gros chien aboie, le type (un gardien ?) nous l'envoie.
Premier gros coup d'adrénaline. On court comme des malades, je me rends compte que j'ai
laissé tomber mon petit frère, mais il s'en tire.
Les doigts sales et la respiration irrégulière, chacun rentre chez lui.
En Angleterre, je trouve le livre "Subway Art". C'est le flash bien sûr,
Seen et Lee deviennent mes héros. Enfin j'ai un peu d'informations, d'images, enfin j'ai
l'impression de ne pas être tout seul.
1984-85
J'entre dans un LEP de photo à Paris. Du coup je visite la ville, je parcours les
quais en long et en large, je me rends compte qu'il y a d'autres graffiteurs à Paris, je
remarque surtout Bando, tellement supérieur aux autres. Et puis un autre : Shaker, qui a
fait un petit graf' sans qualités et qui fait partie, comme Bando, du "Bomb Squad
2". Je le retiens (ça aura son importance), comme je retiens quelques autres : Scam,
TDK (je me demande si c'était un posse), Blitz, des Paris City Painters, Asphalt, Spirit.
Peut-être qu'il y a déjà quelques petits trucs signés BBC (Bad Boys Crew) ou LSD
(Legion street d... defense ? destruction ? je ne sais plus). Enfin Paris reste
tranquille, à l'époque je pense que je dénombrais quelque chose comme 25 tags, en
comptant les nôtres. Je commence à courir partout à la recherche de grafs et j'en
trouve : Blitz dans le 14e, tout un tas de gens sur l'île Passy (dont les mystérieux
"zoulous of Neuilly" dont on n'entendra plus jamais parler)... Dans l'ensemble,
le graffiti parisien de 1984 est extrêmement... parisien. Il ne vient pas vraiment des
cités : ceux qui en font sont souvent allés plusieurs fois aux états-unis.
Je parle de graffiti aux copains que je me fais au LEP. La plupart sont dubitatifs
("le hip hop, c'est fini...") ou un peu peureux. J'essaye de pousser
Fred-le-meilleur-dessinateur-de-la-classe à faire partie des TZC. Dans un premier temps,
ça ne l'intéresse pas trop mais il finit par se laisser convaincre, ainsi que Sno.
Il est à noter que Fred est l'auteur d'une invention qui aura pas mal de succès par la
suite : les stickers. Il ne voulait pas salir les rames de métro mais il voulait que l'on
voie son nom, de là est née l'idée de ne tagger que des autocollants... Je ne peux pas jurer qu'il a bien été le premier (quand on a une idée,
bien souvent, des dizaines de personnes ont la même au même moment) mais je n'avais
jamais vu ça avant et le concept a pris comme une traînée de poudre ensuite...
A cette époque, les journaux (Actuel, l'écho des savanes...) parlent de plus en plus
de graffiti, mais très peu de notre genre de graffiti, ils parlent des pochoirs de Blek
le rat, de Miss Tic, des peintures de Jérome Mesnager (qui dessine des hommes blancs sur
les quais de la seine) ou encore des frères Ripoulin qui exposent en France et à
New-York et parmi lesquels se trouve un dénommé Closki qui bien plus tard deviendra
l'artiste Claude Closky, avec qui je travaille plus que fréquemment. A l'époque, on ne
s'est pas rencontrés.
Rencontre avec Epsylon (Epsylon point, pour être précis), qui est peut-être le premier graffiteur parisien. Son style
n'est pas spécialement orthodoxe et il fricote avec le monde de l'art, pour ces raisons
il se fera pas mal d'ennemis. Mais moi je n'ai pas d'ennemis.
A la station Ballard, avec Epsylon, les TZC se lancent dans leur premier mur officiel,
enfin visible. Epsylon nous dessine un dragon, on met notre lettrage, "magic".
Depuis des années Epsylon fait ce qu'il veut sur le mur qui se trouve en face de chez
lui.
L'époque est un peu noire pour le hip hop. Peu de disques en import et une production
locale très limitée. Un jour je trouve tout de même l'album de Dee Nasty ("paname
city rappin")... On dit qu'il a essayé de racheter tout le pressage pour le
détruire : m'en fiche, j'ai le mien. Sur la pochette il y a le téléphone personnel de
Dee Nasty, c'est dire à quel point le public d'un tel album était restreint.
A Milan, je vois l'exposition "Arte de Frontiera" qui change ma perspective. A
côté d'auteurs qui ont décidé de peindre pour les galeries je découvre le travail
d'artistes originaux, comme Jean-Michel Basquiat ou Jenny Holtzer, et puis Keith Harring
mais lui je le connaissais déjà un peu.
Risk n'était pas très vieux (10 ans, sur la photo ?) et ça lui vaut un grand
succès, il devient le Macaulay Culkin du graffiti. Il passe à la télé plusieurs fois
et finira même quelques années plus tard par tourner une pub.
1985
Second graffiti dans le quartier d'Epsylon, avec Fred qui pour la première fois se
lance dans un de ses personnages un peu SF, sa marque de fabrique (j'ai fait la main et la
bombe...).
A l'époque, on peint en plein jour, il n'y a pas de tags sur les rideaux de fer ni dans
le métro, les gens ne se plaignent pas, ils trouvent ça joli. Quand des flics passent en
voiture, ils jettent un oeil, pas de problème, on ne casse rien, on est des artistes.
Embarquer des gens qui font de belles images sur un mur qui sera bientôt démoli, l'idée
aurait paru absurde.
Les choses se précipitent. Un copain qui habite le nord de Paris m'apprend qu'il y a de
superbes graffitis entre les stations Stalingrad et La Chapelle du métro parisien.
"Criminal Art" par Bando, mais aussi "Sun City" et "Unity"
de Saho... Je ne sais plus vraiment dans quel ordre j'ai vu tout ça mais je sais que j'y
étais quasiment dès le début. Je viens y prendre des photos assez souvent. Je n'ose pas
peindre moi-même ni parler aux gens que je croise.
Métro "commerce", où je passe tous les jours, je marque mon nom à côté
de celui de "Shaker" (des bomb squad 2) et, toujours au marqueur, je lui propose
une rencontre. Je crois qu'il était batteur de Jazz, finalement pas très intéressé par
le graffiti. Grâce à lui j'ai un rendez-vous avec Bando, au centre Paco Rabanne, un
drôle d'endroit où j'ai croisé le couturier du même nom qui, je pense, donnait de
l'argent à une famille de (on ne les appelait pas encore comme ça) sans-papiers
africains. Bando me présente le mythique Solo, des Paris City Breakers, et puis Scam, un
grand noir à l'air américain avec un ballon de basket. Je suis passé chez Bando qui m'a
montré sa collection de Comics de Vaughn Bode (aussi sec j'ai entamé ma propre
collection...) et qui m'a peint une petite toile un peu à la manière de Futura. Il
m'avait l'air très grand et très sérieux mais en revoyant les photos de l'époque, je
suppose qu'il n'avait que deux ou trois ans de plus que moi.
J'ai du le croiser une autre fois, il m'a emmené dans un appartement parisien
incroyablement grand chez une dame qui voulait faire décorer des stores de sa salle de
bains.
De gauche à droite, Spray, un deejay amateur dont j'oublie le nom, Philippe
"PLT" et Risk.
Été 85, je fais un séjour en Angleterre, à Farnborough.
Dans un parc très tranquille je fais mon premier graf' en terre d'Albion, juste à côté
d'un autre graf' dont j'admire la technique.
L'autre Graf' est de Sacha, Stitch et Oz, trois anglais. Eux aussi admirent ma
technique. Autant dire qu'à l'époque on était tous nuls.
Je leur propose d'entrer dans le TZC, ils sont tout de suite d'accord. Ils seront bien
plus sérieux que moi, en fait chaque mois ils m'envoient des photos de leurs murs.
De retour en France, il se passe beaucoup de choses.
Avec Won, je passe à la télé, puis on est longuement interviewés par France Culture
pour une série d'émissions. Au milieu d'adultes comme Epsylon, Blek, Speedy Graphito, on
explique avec nos voix de gamins que "le graffiti c'est notre vie", qu'on
"commence à en vivre".
Je crois que c'est à cette époque que la Galerie du Jour Agnès-B a organisé une
rencontre de graffiteurs et d'amateurs d'art. J'ai déposé là une petite toile. Puis
j'ai fumé une cigarette étrange avec (si mes souvenirs sont bons), Blek, Miss Tic et un gars dont j'oublie le nom, ce
qui m'a instantanément plongé dans un profond sommeil : je crois que j'ai du dormir
trois heures par terre devant la galerie... Mais à présent je peux dire avec fierté
"j'ai été exposé chez Agnès B." :-)
Avec Won, je cherche à avoir une boucle de ceinture en chrome à mon nom, une
nameplate "comme les américains"... On ignore que là-bas ça se vend dans les
boutiques de fringues... De notre côté, nous nous lançons dans la production de ce
genre d'objets en plomb ou en étain (fondu dans un moule puis peint à la bombe or, ici).
Au passage je suppose qu'on s'est bien intoxiqués au plomb !
1986
Le posse s'agrandit. Le père de Won nous passe une première commande payée. La
gloire.
Retour en Angleterre : Sacha et Stitch ont beaucoup progressé. J'essaye de suivre.
Ils passent souvent dans les journaux locaux.
Ensemble on se bat (pacifiquement) contre un autre posse sous le jugement des gens du
quartier. On gagne.
Beaucoup d'articles de presse. Je découvre, surpris, la magie de l'interview : quoi
que l'on dise, ce qui aboutira dans le papier définitif relève du n'importe quoi, les
noms sont écorchés, les propos déformés, les photos sans rapport. Par exemple le
Journal du dimanche me fait dire : "pas de violence, peu de drogue,
pas d'alcool". Invention pure. Un coup à inquiéter les parents !
A la même époque se lance la galerie "village photo graffiti", un projet
foireux qui provoque tout de même régulièrement des réunions entre gens venus de la
peinture, du pochoir et du graffiti "américain". A l'occasion je rencontre
les Nuklé-art (Kriki, Kim Prisu et Etherno), Jef Aerosol et diverses personnes dont j'oublie les noms. Et puis
je rencontre Megaton, aujourd'hui "Olivier Megaton" (réalisateur de clips ainsi
que des films "exit" et "la sirène rouge"), à l'époque pochoiriste
issu du milieu punk. Il m'explique qu'il a envie de peindre des fresques, il me demande si
je peux lui montrer comment on fait... Je ne pense pas qu'il avait vraiment besoin de moi,
mais peu de temps après cette rencontre, il m'invite à faire une fresque dans un squat
pendant un concert des Béruriers noirs, de Pigalle et des garçons bouchers, filmés par
Antenne 2 pour la dernière des "Enfants du Rock". Le résultat n'est pas fameux
surtout que l'on devait peindre sur du papier.
Quelques jours plus tard, toujours pour le tournage, Megaton et moi trimbalons dans tout
le 13e arrondissement une bande de gamins punks infernaux jusqu'à l'entrepôt
Vichy-état, rue de Watt, où on fait quelques graffitis avant d'aller boire une bière
chez François Hadji-Lazaro (le costaud des "Garçons Bouchers")... L'émission
passe en 87 ("Dernier pogo à Paris").
Toujours en 86 je laisse une peinture à un commissaire priseur pour une vente au
profit de je ne sais quoi.
La présentation des peintures avait lieu aux Bains-Douches, première et dernière fois
que j'y ai mis les pieds.
1987
Je pars à Rennes, toujours avec Megaton, tourner l'émission "Décibels"
(FR3 Rennes). Le sujet de l'émission, c'était toute la vague musicale du rap (qui
redémarrait enfin) et du dub/raggamuffin'. La première partie du tournage était consacrée
au rap et la seconde au dub. Ce ne sont pas les mêmes équipes qui ont fais les graffitis
pour les deux parties, Megaton, moi et Spirit (force alphabetique) étions préoposés au
reggae. J'ai de grands souvenirs d'avoir passé deux très bonnes journées avec Pablo
Master, Puppa Leslie, Mickey Moseman, les Saï Saï et Princesse Erika).
En passant on a croisé Dee Nasty, très sympathique, et puis Johnny Go et Destroy Man,
deux rappeurs un peu oubliés aujourd'hui.
Je suis par ailleurs invité à venir peindre par les "rencontres du 13e
type", un festival de Liège... Je me suis longuement fait interviewer par le fanzine
Zig Zag Zine.
Une autre petite gloire en passant : je dessine la couverture de "Kid Street
News", le fanzine de Dee Nasty et de Crazy M. (sans les rencontrer... je leur avais
spontanément envoyé un dessin). Je travaille aussi pour d'autres fanzines plus
"rock".
A l'occasion de salons de fanzines, je serre deux fois de suite la main de Jack Lang -
sans rien avoir demandé.
Retour à l'entrepôt Vichy état, je me fais la main avec Fred et Sno...
Plus tard, le marché de Sucy-en-brie nous passe une commande.
Le résultat est assez moche, je préfère ne pas mettre de photo.
Le directeur de mon LEP m'autorise à faire un graffiti dans la cour. Nouvelle recrue :
Rico.
L'été, les anglais viennent passer une semaine chez moi. Pour un parc de loisirs de
ma ville, on fait ce tigre, qui nous rapporte deux cent francs :
À part ça je commence à avoir des doutes sur la direction que prend le mouvement hip
hop.
Voir un enfant gâté comme Bando (qui habitait à l'époque rue du bac) expliquer que les
bombes de peintures doivent obligatoirement être volées (au Bon Marché !), c'était
rigolo. Le bourgeois s'encanaille, ça le distrait, ça l'aide à se sociabiliser
peut-être, rien très grave... Mais mon utopie à moi, ça restait Bambaataa, il fallait
aller vers un mieux, vers la créativité et la fête, pas vers la délinquance. Moi aussi
je suis bourgeois finalement (pas rue du bac quand même), mais ça ne m'a jamais
intéressé de jouer les bad boys (j'étais mille fois mieux à ma place avec les rastas,
oui), je ne sais pas me battre, je ne sais pas cracher par terre et d'ailleurs je trouve
ça sale.
En 87, donc, le Hip Hop se voulait méchant. Le rap avait vu arriver Run DMC - qui passait
au hard rock - et LL Cool Jay mais pas encore l'humour des Beastie Boys ou de De La Soul.
Les "gentils", les Bambaataa, Grand Master Flash, Grand Master Melle mel, les
Treacherous Three, Jazzy Jay, Kurtis Blow... enfin tous ceux que j'écoutais moi,
n'étaient plus à la mode, les "home boys" ne voulaient plus de l'image
"Smurf", de Sidney, ils voulaient du rap dur, des gangs méchants. Et tout ça
est arrivé. Dans le graffiti, ça s'est traduit par des guerres de tags. En tout point,
il fallait être "authentik" (c'est à dire suivre débilement l'avis de
quelques leaders d'opinion du hip-hop parisien), faire racaille. Le niveau du graff'
parisien progressait énormément (des gens comme Lokiss, Scipion, Saho, Bando, Mode 2,
faisaient des choses extraordinaires) mais il était de plus en plus difficile de voir de
beaux grafs, Paris se couvrait de tags et, par souci d'efficacité, les grands graffitis
se limitaient souvent à deux couleurs.
A ce moment là j'ai commencé à entendre des histoires désagréables.
Un vieux héros du breakdance a pris un coup de couteau de tel autre pour une sombre
histoire d'argent ou de fille... Un gars est en prison pour un viol... Un autre encore est
héroïnomane... Tel type cherche tel autre dans tout Paris pour le tuer avec un
marteau... Untel a acheté une arme à feu au marché aux puces et élève des chiens
dangereux... D'autres parlent de mettre leur voisine délurée sur le trottoir...
J'ai raconté tout ça à une journaliste de Libération, mais elle n'avait pas envie de
l'entendre je suppose puisque l'interview n'est pas passée. Elle voulait sans doute que
je lui dise que les petits jeunes qui font du graffiti sont créatifs et sympas, mais ce
n'était déjà plus vrai. Au début du hip hop à Paris je pense que 100% des personnes
concernées s'étaient auto-attribuées un "métier" : rappeur, graffiti-artist,
dee-jay, breaker. Certains, avec talent, cumulaient.
Quelques années plus tard, les "créateurs" étaient de plus en plus dispersés
au milieu d'une population de "home boys" dont la seule activité créative
était de taguer dans le métro.
Je ne juge pas les tagueurs qui ne font que taguer, je suppose que je comprends ce besoin
de marquer son territoire, de s'approprier l'espace urbain, c'est une manière comme une
autre d'exister, mais je sais que ce n'était pas fait pour moi.
Parmi les nouveaux graffiteurs, il s'en trouvait aussi beaucoup pour copier leurs
prédécesseurs sans honte, pour voler un bon tag ou même, ça s'est vu, pour l'acheter.
Enfin, on voyait déjà monter une mysogynie terrible - qui me semble n'avoir fait que
progresser alors que, curieusement, la participation des filles dans le
"mouvement" progressait elle aussi. Et ne parlons pas du racisme montant lui
aussi : noirs contre arabes, arabes contre juifs, les noms "portugais" ou
"feuj" deviennent des insultes. Je tiens à dire en passant que ces travers sont ceux de la jeunesse des cités, ils ne sont pas spécialement liés au "hip hop".
A lire pour comprendre ce petit monde et savoir pourquoi beaucoup de gamins marchent comme
des canards avec une jambe de pantalon relevée : "Les jolis pieds de Florence"
et surtout "Le pays de la soif", par Riad Sattouf, éditions Dargaud.
L'été, en Angleterre, gros graff' avec Sacha et les autres.
Pendant qu'on travaillait, des policiers et des employés de British Rail sont venus... On
ne sait pas ce qu'ils cherchaient : nous sans doute. On est restés une demi-journée dans
une cabane des chemins de fer, au milieu d'un environnement très hostile. Gros coup
d'adrénaline, encore.
Le même été j'assiste à Wembley à un concert assez magique réunissant toute la
scène hip-hop de l'époque.
A leur tour, les anglais viennent à Paris.
On décide de marquer un gros coup : faire un graff au terrain vague de La Chapelle.
A l'époque c'est l'anarchie... Il y a des dizaines de graffs partout, le notre sera
recouvert dans la semaine sous un prétexte raciste ("on connaissait pas, on pensait
que c'étaient des étrangers"). Sympa.
1988
Avec Megaton, des détournements d'affiches pour annoncer un concert de SOS Racisme.
Je suis la deuxième personne en partant de la gauche, ensuite on voit Risk puis Megaton.
Ci-dessous, un beau graff de Sacha et des autres
Mon plus gros graf', à Auribeau-sur-Siagne, dans les Alpes Maritimes. C'est la mairie qui paie les
bombes. Le mur fait 100 mètres par 3 ou 4 (selon les endroits). Peintres : Spray, Bobo,
Banga, KayOne et Megaton. La paie n'est pas énorme mais on passe une quinzaines de jours
presque en vacances.
Le plus difficile aura été de négocier pour ne pas être obligés de peindre Astérix
ou Mowgli. Le résultat était plutôt bien mais je n'en trouve plus aucune photographie,
en dehors de celle-ci, au tout départ de la fresque.
Banga, le play-boy des TZC (et de plusieurs autres crews).
1989
A la gare "Passy La Muette", désaffectée, je peins avec Banga, Fred, Bobo
et quelques autres.
En même temps, je m'installe avec un chevalet et je fais le portrait figuratif de nos
oeuvres et du lieu. Je prépare l'entrée aux Beaux-arts de Paris.
Toujours à cette époque, je tombe durablement amoureux de Nathalie qui n'allait pas
tarder à tomber enceinte.
A cette époque, les choses vont mal pour Sacha et les autres anglais. A Farnborough,
un employé du chemin de fer annonce dans la presse locale qu'il mettra la main sur la
bande... Malgré des changements de tags réguliers, plusieurs auront de vrais problème
et un jour, Sacha m'écrit pour m'apprendre qu'il doit cesser le graffiti.
Je n'ai pas de photos de mon dernier graffiti.
C'était un terrain vague énorme où des centaines de graffiteurs étaient invités à
peindre en même temps.
On m'avait donné trois ou quatre bombes de la même couleur, je ne crois pas avoir fait
quelque chose de passionnant ce jour là.
Nathalie était bien enceinte et a un mauvais souvenir d'avoir eu à escalader un mur pour
entrer sur le terrain...
L'histoire s'arrête donc à ce moment-là.
1990
Je suis devenu papa une première fois (sur trois). Il paraît que c'est souvent à ce
moment-là qu'on arrête le graffiti.
Je suis entré aux beaux-arts de Paris, de même qu'Arnaud "Won", lui en
sculpture et moi dans l'atelier Caron (peinture figurative) pour faire ce genre de choses
:
... Quelques années plus tard j'ai laissé tomber mes pinceaux comme j'avais oublié
les aérosols et je suis devenu programmeur dans le multimédia, prof en école d'art et
à la fac (toujours dans le domaine du multimédia - pour faire vite). Mon frère fait des
décors de cinéma et a ouvert une boutique de bandes dessinées à Paris. Avec Shaz, qui
est devenu prof d'anglais, il fait de la musique, aussi. 34 Skidoo est pianiste et prof en
conservatoire. Won est artiste et éditeur à Londres. Sacha est, je crois, chef dans un restaurant (je l'ai croisé sur
google... je ne suis pas sûr que ce soit lui, il n'y avait pas de photo, mais ça a un
sens, il étudiait la cuisine).
Les autres je ne sais pas trop, j'ai perdu tout le monde de vue.
Voilà, c'était l'histoire du moins célèbre des pionniers du graffiti à Paris... Et
l'histoire d'un Posse qui n'a pas énormément fait parler de lui non plus.
Pour conclure, j'aimerais expliquer aux gens que le graffiti rend dubitatifs ou révolte
qu'il ne s'agit pas nécéssairement d'une agression en reprenant à mon compte une
réflexion faite par un "writer" dont j'ai oublié le nom et qui disait en
substance que le graffiti est un peu comme les mauvaises herbes qui traversent l'asphalte
ou qui sortent des murs : dénué de sens, dénué d'avenir, sans autre stratégie que
celle d'exister... et parfois c'est très beau ne serait-ce que pour ces raisons.
Cette histoire je la dédicace (eh) à tous les Twilight Zone Crew de Paris, Londres et
Oslo (eh oui, même Oslo) : 34 Skidoo, Won, Shaz, Risk, Dana 4, Sacha/Spy/Quinch/Duel,
Stitch/Roski, Oz, Ghost, Askia, Extra, Rico, Fred, Sno, Epik, Rene/Kiss/Dash, Gazz,
Deutch, Hunk7, Fuse, Rine, Bobo, Disk/Sain/Fume, Surf, Size, Baze, Banga, Crazy, Dee,
Ence, Cade, Verse, Reske, Dinky M., Suck B.
Je la dédicace aussi à Étienne-Epsylon, Olivier-Megaton, Brendan-KayOne, Doc, Meo, Bando, Shaker, Solo, Lokiss,
Scipion, et à tous les graffiti-artists que j'ai croisés. Aux pochoiristes, Blek le rat,
Miss Tic, le Rire du fou, Ric roc, Ulis, les Nukle-art et Jef Aerosol.
Et puis à Bouda, le meilleur danseur que j'aie connu. À Dee Nasty.
Et aussi à Andy et Mary Welles, qui m'accueillaient à Farnborough. À Claude. À mes
parents bien sûr.
A †Stéphane Simonet, Angel Andujar, Sophie Motta, Marie-Neige Pérez, Fabrice Ruet, David
Defever, Nathalie Kammerer (...et tout le LEP Quinault) et Dominique Declert. Et enfin, à Goblin et à tous les jeunes gens qui veulent faire vivre l'art urbain aujourd'hui.
Note à l'attention des chercheurs, biographes amateurs ou professionnels
du graffiti parisien, journalistes : je dispose d'un bon tas de diapositives des premiers
graffitis parisiens et bien entendu aussi de ceux des TZC.
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